C´est difficile de dire mais pour moi une intégration réussie c´est d´être bien dans ses bottes, se lever le matin et se dire c´est mon pays, je suis bien, j´aime ce pays.
Né en Ex-Yougoslavie, le jeune Bashkim Iseni immigre en Suisse pour retrouver sa famille longtemps installée auparavant et y poursuivre ses études. En marge de la 7ème conférence de la diaspora africaine de Suisse, qui a eu lieu le 21 septembre de cette année à Berne, votre magazine est allé à sa rencontre pour savoir ce que ce Suisse d´origine albanaise pense de l´intégration. Lisez ci-dessous ce que nous avons pu tirer de lui.
Docteur Bashkim Iseni, bienvenue sur cette plateforme d´échange et de communication qu´est Afrique Opinion. Pouvez-vous dire à nos lecteurs qui vous êtes s´il vous plaît?
Oui mon nom est Bashkim Iseni, je suis délégué à l´intégration et responsable du bureau Lausannois pour les immigrés. Le bureau Lausannois pour les immigrés est un pôle de compétences réunissant les professionnels de l´intégration. On a un mandat de la municipalité pour réfléchir à proposer des politiques d´intégration et aussi à les mettre en œuvre dans la ville de Lausanne qui compte plus de 43% de la population qui n´a pas le passeport Suisse. Concernant mon passé, il est aussi celui d´un immigré, j´ai des origines de l´ex-Yougoslavie, je suis de langue et culture albanaise de l´ancienne Yougoslavie. Auparavant, j´ai été assez actif dans le milieu migratoire, notamment à travers des plateformes de développement. J´ai fondé la plateforme www.albinfo.ch, j´étais producteur d´émissions de télévision et aujourd´hui j´ai cette mission à la ville de Lausanne. Je continue aussi à enseigner à l´Université de Fribourg où je suis Chargé de cours sur les questions de l´intégration et de l´appartenance culturelle et religieuse des différentes personnes originaires des différents pays du monde. J´essaye de montrer quels avantages, quels défis s´imposent dans le domaine de l´intégration surtout si on vient d´ailleurs.
Merci pour ce parcours très enrichi. Peut-on donc conclure que depuis 30 ans que vous êtes en Suisse, votre intégration est une réussite ?
C´est difficile de dire mais pour moi une intégration réussie c´est d´être bien dans ses bottes, se lever le matin et se dire c´est mon pays, je suis bien, j´aime ce pays. Il y a des défis, moi en tant qu´Ex-Yougoslave, je n´étais pas toujours accepté au départ. Vous savez, il y avait beaucoup d´aprioris, une communauté qui était mal vue, parce qu´il y avait effectivement quelques difficultés d´intégration ; mais aussi quand on réussit personnellement et socialement pour moi c´est se sentir membre de la cité, membre de la collectivité dans laquelle on vit et de ne pas se sentir ni inférieur ni supérieur à un autre et se sentir utile et important. L´intégration je l´ai vécue quand je suis allé une fois dans mon pays d´origine, on critiquait la Suisse et là cela me fâchait. Ça me faisait mal au cœur que l´on dise du n´importe quoi sur la Suisse comme ça me faisait aussi mal au cœur que l´on dise du n´importe quoi sur ma culture d´origine et c´est cela l´intégration. Être bien dans ses bottes par rapport à son bagage, par rapport à ce qu´on a actuellement. En d´autres termes je vais comparer l´intégration au film TITANIC où il y a des gens qui sont en première classe, deuxième classe et troisième classe. Pour moi l´intégration c´est que tout le monde soit dans la même classe indépendamment de ses origines, avoir accès aux ressources, à une bonne éducation, être traité de la même manière que les autres et aussi avoir des devoirs, pas que des droits. Se faire accepter aussi, là il y a un vrai travail de sensibilisation et d´information tout aussi où il y a des migrants qu´auprès des ressortissants du pays d´accueil, qui parfois perçoivent la migration comme une menace à l´identité. C´est donc important de faire ce travail de sensibilisation, d´information et de dé-essentialiser le débat sur la migration.
Revenons dans le cadre de votre travail. Vous avez aussi affaire à la communauté africaine. Pouvez-vous nous dire quels sont vos rapports avec cette communauté et aussi où se situe actuellement leur degré d´intégration dans la ville de Lausanne ?
C´est difficile de formuler un jugement sur le degré d´intégration de la population africaine mais ce qu´on sait est qu´il y a un activisme très fort des Africains et personnes originaires d´Afrique dans différentes associations africaines. On a des représentants de la Commission Lausannoise pour l´Intégration qui sont des personnes d´origine africaine qui œuvrent et militent dans le cadre de différentes associations africaines. Il y a aussi eu des conseillers communaux d’origine africaine au conseil communal lausannois (Nkiko Nsengimana par exemple) ou afro américaine, il y a 20 ans déjà (Robert Fox). La communauté africaine, ou bien surtout la deuxième ou la troisième génération fait sa place dans la cité. Néanmoins, nous sommes très soucieux du fait que les personnes de couleur ne soient pas discriminées à Lausanne. Nous à Lausanne, qui est une ville ouverte, une ville où le racisme n´a pas sa place, mais ça ne veut pas dire qu´il n´y a pas de manifestations de situations racistes que ce soit au travail, à l´école où ailleurs, notre rôle est justement de combattre ce racisme pour faciliter l´intégration; car quand on est victime de racisme il faut que quelqu´un vous écoute, vous soutienne, vous épaule pour défendre vos droits et votre droit à la différence. Pour répondre plus précisément à votre question, à mon avis l´intégration de la population africaine est tout à fait analogue à celle des différentes vagues migratoires qui ont précédé, peut-être le statut n´est pas toujours le même comparé par exemple à l´immigration italienne, espagnole ou autre car ce sont des immigrés qui sont arrivés par d´autres biais que des conventions entre pays donc forcément il y a des défis différents qui se posent. Néanmoins, moi je ne pense pas qu´il y a des différences notoires entre la migration africaine et les autres vagues de migrations. Chaque migration a son lot de défis, sa particularité. Moi je suis assez fier de vivre dans la ville de Lausanne. Une ville où la migration africaine est présente, active, il y a beaucoup d´activités, beaucoup de projets qui nous sont soumis. Pour moi ce sont des indicateurs. Bien sûr j´ai des relations personnelles, des amitiés fortes avec des personnes qui sont originaires d´Afrique, ça c´est dans ma vie personnelle. Dans ma fonction, j´ai le sentiment que c´est une communauté dynamique. Il faudrait aussi noter que l´Afrique, ce n´est pas un bloc monolithique, il y a des sensibilités différentes, des profils de personnes différents, il y a aussi des expatriés qui sont aussi dans le même bateau que les autres expatriés. C´est tout cela qui forme la population africaine en général.
Auriez-vous quelque chose à ajouter sur cette communauté ou sur le continent africain ?
Je suis un amoureux d´Afrique, j´ai découvert récemment l´Afrique, cette année j´étais au Kenya, je suis tombé fou amoureux de ce pays et de sa population. Je suis reparti tellement enrichi de la dignité des Kenyans et cela m´a donné envie de découvrir d´autres pays d´Afrique; vraiment je ne le dis pas pour vous plaire, durant mes études universitaires, j´ai toujours été sensibilisé sur la question des politiques d´ajustement structurel, des conflits civils en Afrique, des génocides parce que j´ai beaucoup travaillé à l´Université de Lausanne sur les questions de relations internationales. J´ai toujours été sensible à l´Afrique, j´ai toujours été révolté par les drames qu´a traversé ce continent. J´ai hâte, je rêve de voir un jour l´Afrique, à l´image des autres continents, parce qu´il y a tout pour que ce continent décolle. Peut-être que la diaspora peut avoir un rôle intéressant.
Pour un peu tout résumer, qu´est-ce qui vous a poussé à travailler dans le domaine de l´intégration actuellement ?
Ça a été une passion, mon parcours migratoire forcément a façonné. J´ai aussi fait une thèse sur le nationalisme, j´ai toujours combattu l´intolérance, le racisme, l´ethnicité ou le ressentiment ethnique. Et là en travaillant pour l´état, pour la collectivité, j´ai une chance énorme que d´exercer ce métier et en même temps de faire de ma passion mon métier. Voilà je suis content d´aller le lundi matin au travail.
Merci Dr. Bashkim Iseni pour le temps accordé à notre magazine et à bientôt sur Afrique Opinion
À tout bientôt, merci.
Propos recueillis par Merlin Tchouanga