Il faut dire que quand vous êtes Africain, vous devez être deux fois plus bon que vos homologues Européens pour réussir
Né en 1966 à Garoua au Nord-Cameroun, il part en Allemagne après l´obtention de son baccalauréat (maturité, ndlr) pour y poursuivre ses études. C´est ainsi qu´il opte pour la médecine. Ce parcours le mène plus tard en Suisse où il se spécialise en psychiatrie et psychothérapie. Lui, c´est le Docteur Abba Moussa que votre magazine est allé rencontrer dans son bureau de la fondation de Nant au cœur de la ville de Vevey. Revivez ici les temps forts de ce moment passé avec lui.
Docteur Abba Moussa, bienvenue sur cette plateforme d´échange et de communication qu´est Afrique Opinion. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs s´il vous plaît?
J’occupe depuis 2010 le poste de médecin-chef du service de psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée à la Fondation de Nant. J’ai aussi occupé pendant un an (2015-2016) le poste de directeur médical a.i (ad intérim) à la même institution. D’origine camerounaise, j’ai fait mes études médicales en Allemagne à l’université Humboldt de Berlin avant d’entamer une spécialisation en psychiatrie et psychothérapie en Suisse aux hôpitaux universitaires de Genève. Je suis psychiatre et psychothérapeute FMH (association professionnelle des médecins en Suisse). Je suis en plus détenteur de deux titres d’approfondissement FMH : Psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée et Psychiatrie de consultation et de Liaison des hôpitaux. Je suis aussi au bénéfice de la formation post graduée psychothérapie FMH de l’institut CG Jung de Zurich et je dispose d’une accréditation auprès de l’institut C.G. Jung de Zurich, de L’ISAP, de la SSPA ou de l’IAAP. Cofondateur du centre mémoire Est-Vaudois et superviseur au centre Leenard de la mémoire du CHUV à Lausanne, j’assume des responsabilités d’enseignement à l’antenne romande CG Jung de Genève, ainsi qu’à la société suisse de psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée.
En dehors de mes fonctions de médecin-chef de service, j’ai développé une forte activité clinique privée en cabinet dans le domaine de la psychothérapie à la Fondation de Nant et dans mon Cabinet de Genève.
Naturalisé allemand et Suisse, je suis marié et père de 3 enfants. J’habite dans la région.
Pouvez-vous nous expliquer ce que c´est que la psychiatrie et la différence avec la psychothérapie ?
La psychiatrie est le domaine de la médicine qui traite les troubles mentaux. Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé, ndlr), les troubles mentaux regroupent un vaste ensemble de problèmes, dont les symptômes diffèrent. Mais ces symptômes se caractérisent généralement par une combinaison de pensées, d’émotions, de comportements et de rapports anormaux avec autrui. Ils comprennent par exemple la schizophrénie (la folie), la dépression, l’arriération mentale et les troubles causés par l’abus de drogues (alcool, cocain…). La plupart de ces troubles se traitent.
La psychothérapie concerne les interventions non médicamenteuses planifiées et structurées qui visent à modifier le comportement, l’humeur et les modes de réaction à différents stimuli par des moyens psychologiques verbaux et non verbaux. La psychothérapie n’englobe pas l’utilisation de substances biochimiques ou de moyens biologiques. Plusieurs techniques et démarches fondées sur des théories différentes se sont révélées efficaces pour le traitement de certains troubles mentaux et du comportement. On peut citer à cet égard les thérapies psychodynamiques, les thérapies cognitivo-comportementales, la thérapie systémique, les techniques de relaxation et la thérapie de soutien (techniques de conseil) (OMS, 1993b).
Quelle est la particularité chez les personnes âgées ?
En Suisse, la psychiatrie et psychothérapie de la personne âgée est le domaine de la psychiatrie qui s’occupe du traitement des personnes âgées de plus de 65 ans. Selon l’OMS, les troubles mentaux et neurologiques les plus courants dans cette tranche d’âge sont les démences (Alzheimer, Fronto-temporale…) et la dépression, qui touchent respectivement environ 5% à 7% des personnes âgées dans le monde. Les troubles anxieux touchent 3,8% de la population âgée, les problèmes liés à l’abus de substances psychoactives presque 1% et environ un quart des suicides concernent des personnes âgées de 60 ans ou plus. Les problèmes liés à l’abus de substances psychoactives chez les personnes âgées sont souvent négligés ou mal diagnostiqués. La population mondiale vieillissant rapidement, ce domaine de la psychiatrie prend de plus en plus d’importance. Selon l’OMS, entre 2015 et 2050, le pourcentage d’adultes âgés de plus de 60 ans dans le monde devrait doubler, passant de près de 12% à 22%.
Merci pour ces éclaircissements. Vous avez sûrement eu des difficultés ou des mésaventures tout au long de votre parcours à un moment donné. Pouvez-vous nous dire comment vous vous en êtes sorti?
En tête des difficultés je peux nommer le racisme. Il est clair qu’en tant qu’Africain, on est appelé à affronter ici en occident un jour ou l’autre le racisme. Si ce n’est pas vous en personne, ce sont vos enfants ou vos proches. Il est toutefois important de rappeler que ce phénomène (le racisme, ndlr) n’est pas propre aux Européens, on le retrouve malheureusement partout dans le monde. Il faut dire que quand vous êtes Africain, vous devez être deux fois plus bon que vos homologues Européens pour réussir. Vous pouvez vous imaginez les efforts à déployer pour arriver au sommet de la société. Il est encore plus difficile de s’y maintenir quand vous y êtes. Dans la société Suisse, ce qui est particulièrement difficile, c’est la confusion entre l’assimilation et l’intégration. Je constate que beaucoup d’immigrés naturalisés sont plus helvètes que les autochtones. Le paradoxe est que la mixité (alémaniques, francophones, italophones…) fait le charme et la richesse de ce pays.
Une autre difficulté importante que je peux nommer ici, c’est le rythme effréné de la vie et le risque d’isolement social. Beaucoup de choses m’ont aidé à m’en sortir. Je peux citer l’ambition, la ténacité, la rigueur et la remise constante en question. Pour résumer, le caractère est un élément important. Quand on à l’humilité, on est respectueux des autres et on est compétent, on réussit en Suisse.
Dr. Abba Moussa, quels sont vos rapports avec vos pairs médecins dans la sous-région ?
Beaucoup de respect et de reconnaissance. Avec le temps nous avons appris à nous connaître et à nous apprécier. La région est petite. Tout comme moi, chacun a ses points forts et ses faiblesses. Il ne faut pas oublier que derrière la blouse blanche se cache un être humain.
Avez-vous des activités extra-professionnelles? Que faites-vous lorsque vous ne travaillez pas?
Il faut dire que l’ampleur des responsabilités professionnelles, la frénésie et le rythme des journées ne laissent pas beaucoup de temps au loisir. Le pire est que chez beaucoup de médecins, le métier et le hobby se confondent. Le peu de temps qui me reste, je le partage entre la récupération et les activités en famille. La marche et la randonnée en montagne occupent la majorité de mon temps libre.
Nous arrivons à la fin de notre entretien. Quel conseil donneriez-vous à un jeune Africain qui aimerait avoir un parcours comme le vôtre ?
Aux jeunes Africains qui arrivent en Suisse, je rappellerai tout d’abord que nous vivons dans une société très exigeante. Les valeurs de cette société telle que la qualité, la tranquillité, l’ordre et la propreté sont à respecter. Il faut éviter de se référer au racisme pour expliquer ses échecs; car comme je l’ai mentionné plus haut, le racisme existe partout même en Afrique. La clé du succès est le travail et la discipline.
Dr. Abba Moussa, ainsi s’achève notre interview. Merci de votre disponibilité et à très bientôt sur Afrique opinion.
C’est moi qui vous remercie. Nous donner la parole à travers votre journal, c’est nous faire connaître, nous rassembler. Donner une voie à l’Afrique qui gagne, c’est donner de l’espoir aux jeunes Africains; car avoir des modèles aide à se construire, voire se reconstruire pour celles ou ceux qui ont eu à affronter des traumatismes dans leur chemin d’exil.
Propos recueillis par Merlin Tchouanga