Société
L´incroyable parcours de Freddie Malumba
Publié
5 ans en arrièrele
Par
Afrique OpinionJe n´ai jamais obtenu l´asile en Suisse. C´est par mon intégration que j´ai pu obtenir mon statut
De demandeur d´asile à directeur du bureau d’accueil pour candidats réfugiés du Haut-Lac. Le parcours incroyable de Freddie Malumba, l´enfant de Kinshasa. Il voyageait en Europe pour des vacances et ne pouvait pas s’imaginer qu’un jour il se retrouverait en Suisse pour déposer une demande d’asile. Votre magazine Afrique Opinion est allé le rencontrer dans son bureau à St-Gingolph, la commune suisse limitrophe de la ville au même nom en France voisine. Retrouvez ici le parcours de cet homme riche en sensations, difficultés et conseils.
Mr. Malumba, bonjour et bienvenue sur Afrique Opinion. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs s´il vous plaît ?
Je réponds au nom de Malumba Freddie. Je suis d´origine Congolaise de Kinshasa. Je suis arrivé en Suisse en 2003. Je suis le directeur du bureau d’accueil pour candidats réfugiés du Haut-Lac. Je suis âgé de 49 ans.
Pouvez-vous nous dire un peu sur votre parcours ? Comment en êtes-vous arrivé là à diriger ce foyer?
Je suis arrivé comme requérant d´asile en 2003. J´étais au foyer d´Ardon (commune suisse du canton du Valais, ndlr) où j´ai travaillé dans un programme d´occupation en cuisine, j´ai donné des cours de langue, des cours d´informatique jusqu´en 2007. Et puis en 2007, il y a eu une restructuration du foyer d´Ardon qui a changé la prise en charge et aussi de direction. Le nouveau directeur m´avait proposé de me rendre dans un autre foyer à Collombey où on avait besoin d´autres compétences. C´est comme ça que je me suis rendu au foyer de Collombey en 2008. À l´époque le foyer de Collombey dépendait de la même administration que le foyer de St-Gingolph. Ça s´appelait Unité d’accueil pour candidats réfugiés du Haut-Lac. J´ai travaillé d´abord comme intendant au foyer de Collombey après j´ai gentiment rejoint la partie de l´administration parce que de par ma formation au pays, j´ai une licence en sciences économiques et de gestion. J´ai été professeur-assistant dans certaines universités du pays (République Démocratique du Congo, ndlr). Mon bagage intellectuel, je n´avais pas pu le valoriser en Suisse mais au fur et à mesure et au bout de cinq, six ans j´ai pu me faire découvrir auprès de la société Suisse. C´est de là donc que depuis 2008 j´ai pu m´occuper de tout ce qui concernait la partie financière du foyer. Je travaillais avec l´ancienne directrice du foyer depuis 2008 jusqu´en 2013 après quoi elle est partie en retraite et j´ai postulé pour la remplacer. Depuis 2014 je suis donc directeur du bureau d’accueil pour candidats réfugiés du Haut-Lac qui comprend le foyer pour candidats réfugiés de St-Gingolph et le centre de formation et d’hébergement pour requérants des Barges à Vouvry. La région Haut-Lac va de Vionnaz jusqu´à St-Gingolph à la frontière avec la France.
Vous avez dit tantôt que vous avez eu des difficultés à faire valoriser vos diplômes ici en Suisse…
C´est pas que j´ai eu des difficultés à faire valoriser mes diplômes. Je n´avais aucune ouverture par rapport à mes compétences. Vous savez quand vous arrivez en Suisse, on vous donne le métier qu´il y a. À l´époque, le requérant d´asile ne pouvait pas travailler dans tous les domaines. Ce n´était possible que dans l´agriculture et la restauration en montagne. Moi avec mes compétences, je ne pouvais pas trouver du travail dans mon domaine. Ce qui fait que j´ai travaillé dans ce qu´on m´a donné et j´ai essayé de me faire connaître dans le milieu où je travaillais. Par rapport à la reconnaissance de mes diplômes congolais, j´ai fait une demande de reconnaissance de mon titre de licence. Il faut juste connaître qu´en Suisse les recommandations des recteurs d´universités ne font pas d’équivalence en vue d’un placement professionnel mais tout simplement pour une orientation académique si la personne souhaite poursuivre ses études. Ça veut dire qu´ils disent que telle personne a tel niveau d´éducation ou d´instruction mais ils ne font pas de recommandations au niveau de l´employeur. Donc c´est l´employeur qui décide si oui ou non il reconnaît votre licence ou pas. Ça n´a rien à voir avec le travail, c´est plutôt par rapport aux études. Si je poursuis mes études c´est eux qui disent à partir de quel niveau je peux continuer et ça je l´ai fait. Je n´ai pas eu de soucis pour qu´on me reconnaisse mon niveau de licence ici en Suisse.
Vous avez sûrement eu des difficultés ou des mésaventures tout au long de votre parcours à un moment donné. Pouvez-vous nous dire comment vous vous en êtes sorti?
Oui comme tout migrant qui arrive ici en Suisse j´ai eu des difficultés. À l´époque on disait toujours le rapport c´était 1/10. Sur 10 demandes d´asile, il y aura peut-être une demande qui va aboutir. Et venant du Congo, de l´ex-Zaïre, on savait bien qu´il n´y avait pas de chance que la demande aboutisse. Avec tous les arguments que j´avais apportés par rapport à ma demande d´asile, je me suis vu recevoir une réponse négative. Je suis ensuite tombé dans les premières mesures qu´on appelle les requérants d´asile déboutés, les RAD. Je bénéficiais donc de l´aide d´urgence, j´ai navigué comme ça. Et puis, la procédure d´asile en Suisse, elle est ce qu´elle est. Si je suis venu en Suisse, c´est que connaissant ce pays comme la terre des droits de l´homme, j ´étais sûr qu´avec tous les arguments que je possédais, le dossier allait passer sans problème mais ça n´a pas été le cas. Ça c´est le passé, on regarde le futur et on se dit le meilleur est pour demain.
Après ce refus, avez-vous retenté votre chance ?
Non, moi mon statut je l´ai eu par des mesures pour raisons humanitaires. Je n´ai jamais eu le permis en tant que réfugié. Les raisons humanitaires car j´étais intégré dans la société socialement et professionnellement; c´est le permis B-humanitaire. On appelle ça les cas de rigueur. Je n´ai jamais obtenu l´asile en Suisse. C´est par mon intégration que j´ai pu obtenir mon statut.
Et quelles activités humanitaires aviez-vous effectivement effectuées ?
Partout où j´ai vécu, je m´impliquais dans la société. J´étais membre du carnaval de Châteauneuf à Sion pendant 5 ans de 2004 à 2009. Actuellement je suis sapeur-pompier bénévole pour le CSI (Centre Secours et Incendie, ndlr) de Vouvry. Il y a beaucoup de sociétés de chants ou de musique dans lesquelles j´ai adhéré. Je ne suis pas resté dormir sur mes lauriers. Juste une anecdote, entre 2003 et 2011 j´ai vécu seul ici en Suisse pendant que mon épouse et mes deux enfants étaient exilés en Afrique du Sud. J´ai donc vécu seul pendant presque 9 ans.
Ça n´a pas été facile pour vous je peux l´imaginer…
Bien sûr que cela n´a pas été facile. Ma famille n´est venue me rejoindre qu´en 2011 quand ma situation s´est stabilisée.
Est-ce qu´on peut dire que vos rapports avec vos collaborateurs sont au beau fixe ?
Je pense que oui, c´est plutôt à eux qu´il faut poser la question. De mon point de vue, oui. J´ai des avantages et des inconvénients d´avoir été requérant d´asile à ce poste. C´est que j´ai un œil qui est différent des autres. C´est facile pour moi de savoir si quelqu´un me dit la vérité ou pas. Dans tout ce qu´on fait, on met le requérant d´asile au centre de notre travail et là pour cette prise en charge sociale on ne travaille pas avec le service de l´immigration, on ne travaille pas sur la procédure d´asile des gens. On n´est là que pour la prise en charge sociale et l´accompagnement de ces personnes-là. Moins on en sait sur le parcours des gens, mieux on peut faire notre prise en charge.
Et avec les requérants d´asile du foyer ça se passe aussi bien ?
Je pense que oui. Apparemment, Ah. Il y a des hauts et des bas. Tant qu´il y a des humains il y a toujours des problèmes et c´est ce qui fait qu´on vit.
Avez-vous d´autres activités extra-professionnelles? Vous avez dit plus haut que vous êtes aussi sapeur-pompier bénévole…
Je fais de temps en temps du tennis, je fais de la musique, j´en suis un passionné. Je fais de la guitare basse, un peu de chant et je continue à étudier aussi. J´apprends l´allemand, je fais de temps en temps aussi un refresh sur mes disciplines universitaires. C´est vrai que je suis saturé.
Avez-vous des conseils à donner aux jeunes Africains qui aimeraient suivre votre parcours ?
Je dirai qu´on est ce qu´on est. On ne perd pas son identité quand on est quelque part. La seule chose que je demande aux gens, c´est de se connaître en premier et puis de s´accepter parce que la plupart des gens qui arrivent et demandent l´asile, une fois qu´ils sont sur un territoire, je prends la Suisse, ils se croient tout permis. Ils veulent tout faire à leur guise, à la manière qu´ils font dans leur pays. L´intégration de la personne est corollaire à l´acceptation de cette personne dans la communauté et vice-versa. Une fois qu´on est accepté dans une communauté, on a cette obligation de s´intégrer. Cela va ensemble. La plupart des gens qui arrivent maintenant, ils oublient qu´ils ont des droits mais aussi qu´ils ont des obligations. Ils tirent tout de leur côté et ne donnent rien de l´autre. Je ne vais pas entrer dans les détails de mon travail, mais en gros ça se tourne là. Parce que quelqu´un qui fuit les problèmes dans son pays et arrive dans un autre où on lui donne un toit, du pain, un verre d´eau, je crois que la moindre des choses est de dire merci je suis en vie. Mais c´est pas ce qu´il se passe malheureusement. L´eldorado de l´Europe c´est pas toujours facile. Moi personnellement, je n´ai jamais pensé que j´allais me retrouver pendant presque 9 ans réfugié ou comme demandeur d´asile. Je venais en Europe pour mes vacances. Je ne venais pas pour demander l´asile. Et là je vois le flux qui vient, je me dis est-ce vraiment important cette fuite de cerveaux et autres. Ce sont autant de questions qu´on se pose. Maintenant on y est, on s´investit et la vie continue.
Avez-vous d´autres choses à ajouter ? On voit depuis quelques années des vagues de migrants fuyant leurs pays et traversant la mer méditerranée pour venir demander l´asile en Europe…
C´est ce que j´ai pourtant dit tantôt sur l´eldorado de l´Europe, c´est des messages erronés qu´on passe. On a du potentiel en Afrique, on a du potentiel dans tous les autres pays. Il y a des ressortissants de certains pays qui ont vraiment besoin de partir parce qu´ils ont des problèmes dans leurs pays comme des guerres et autres. Je ne pense pas que nos dirigeants africains prennent conscience du potentiel qu´on a dans nos pays, des richesses qu´on a dans nos pays car dans mon pays le Congo (République Démocratique du Congo, ndlr) par exemple, qui est scandaleusement riche, on ne peut pas concevoir que des migrants Congolais qui pour des raisons économiques fuient leur pays pour aller demander l´asile dans d´autres pays. Que ce soit en Europe, aux États-Unis ou au Canada, cette fuite des cerveaux on la paiera tôt ou tard. Si le politique prend conscience, si le politique s´organise à utiliser le potentiel des nationaux dans leurs pays, je crois que l´Afrique sera le prochain continent d´immigration car ce sont d´autres personnes qui chercheront à aller s´y installer.
Mr. Malumba, nous sommes arrivés à la fin de notre interview. Merci de votre disponibilité et à très bientôt sur Afrique opinion.
Merci à vous.
Propos recueillis par Merlin Tchouanga
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