À l’ère du numérique, les grandes encyclopédies peinent encore à représenter l’Afrique dans toute sa complexité. En privilégiant des sources écrites et standardisées, elles négligent les savoirs oraux et les réalités locales, pourtant essentiels sur le continent. Cette approche, peu adaptée aux dynamiques africaines et à un paysage médiatique souvent fragile, appauvrit la diversité des récits et contribue à une vision partielle de l’Afrique.
C’est à travers ses actions que l’association Wikimedia Foundation en Suisse a découvert Thierry Videke, de son vrai nom Kossi Evenunye Videke. Informaticien et vidéaste togolais, dirigeant de l’entreprise TATAFRIK, il porte une réflexion aussi simple que percutante : et si la plus grande menace qui pèse sur l’Afrique n’était pas seulement économique, mais aussi liée à l’effacement progressif de sa mémoire collective ?
De cette prise de conscience est né un engagement fort. Tout commence par un constat que partagent de nombreux Africains : grandir en apprenant l’histoire des autres, mais rarement la sienne. Thierry se souvient encore de ce jour d’école où, curieux, il interrogea son enseignant sur le rôle des soldats africains dans les guerres mondiales. La réponse fut cinglante : « Ce n’est pas au programme. » Ce jour-là, un déclic s’opère.
Refusant de voir les histoires africaines disparaître faute de cadres adaptés, Thierry Videke passe à l’action. Après plusieurs années de contributions à des projets africains sur Wikipédia avec des efforts couronnés par deux distinctions internationales : #AfLibWk 4.0 (Ghana) et #AmplifyAfrica Challenge (États-Unis), il crée en 2024 la plateforme WikiTatafrik.
Cette initiative se veut une alternative aux standards éditoriaux dominants, en documentant l’Afrique depuis elle-même, à travers ses repères, ses récits. WikiTatafrik est un espace ouvert, participatif et enraciné dans les réalités africaines. Il propose une réappropriation culturelle et une transmission libre des savoirs, encadrées par des experts africains. Plus qu’une simple base de données, la plateforme se présente comme un projet de mémoire, tourné vers une diffusion mondiale, en complémentarité avec les autres encyclopédies.
« L’Afrique ne manque pas de voix, elle manque d’espaces pour les faire entendre », résume Thierry Videke.
Aujourd’hui, malgré les obstacles et le manque de financements, Thierry poursuit son engagement avec détermination. Convaincu que l’avenir passe par l’éducation et la transmission des savoirs africains, il appelle la diaspora à se mobiliser, non seulement par un soutien financier, mais aussi en contribuant activement à cette plateforme éducative.
Car son objectif va bien au-delà de l’archivage : il s’agit de bâtir un écosystème panafricain du savoir, un espace où chaque récit, chaque tradition, chaque connaissance locale devient un levier pour former, éveiller et construire les générations de demain.
Son message, limpide, s’adresse à toutes celles et ceux qui œuvrent pour l’Afrique :
« Si nous ne racontons pas notre propre histoire, qui le fera à notre place ? »
Merlin Tchouanga