Monsieur bonjour, vous êtes sur un support de communication nommé Afrique opinion, un bimestriel traitant des questions de la communauté Africaine du Chablais. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs ?
Bonjour, mon nom est Esselem Assoua Bertrand d’origine camerounaise, résidant en Suisse depuis dix ans, marié et père de 3 enfants. Je suis médecin en Suisse depuis quelques années et indépendant après plusieurs années de travail à l’hôpital.
Comment êtes-vous parvenu à trouver une place au soleil si vous me permettez l’expression, et quel a été votre parcours ?
Vous avez utilisé le terme soleil (rires), cela semble facile, magique mais rassurez-vous, les choses ne sont pas faites aussi facilement comme cela puisse paraitre ; il y a eu un parcours avec d’énormes souffrances, des difficultés qu’on a dû surmonter, sinon impossible de réaliser son projet. Je suis arrivé en Europe plus précisé- ment en Italie en 1996, très jeune étudiant à peine obtenu ma maturité ou le Baccalauréat comme l’on dit en Afrique, d’ailleurs l’un des rares étrangers à cette époque, un étranger Africain méconnu des autochtones. J’ai fait mon test d’entrée en médecine et c’est partant de là que j’ai effectué mon parcours universitaire de façon complète; à savoir six années de médecine et cinq de spécialisation en chirurgie plastique. Ensuite j’ai obtenu mon droit d’exercer comme médecin en Italie et malheureusement, le parcours est toujours jalonné de difficultés quand on est Africain ou étranger en général. Je n’ai pas eu la possibilité d’être embauché en milieu hospitalier en Italie, j’ai dû me résoudre à accepter de petits travaux comme médecin de garde même en étant spécialiste. Je ne voulais pas parler de discrimination mais hélas c’était ça que j’ai vécu. Malgré une bonne thèse en chirurgie plastique sur la brûlologie que j’avais préparée avec mon professeur et malgré aussi le fait que ce dernier m’avait soutenu pendant des années avec des séjours à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé, ndlr) au Bénin, il n’avait pas réussi à m’obtenir une possibilité de travailler dans de grands hôpitaux à Milan. J’ai fait plusieurs années comme médecin de garde en Italie, et après réflexions, j’ai jugé bon de venir en Suisse. Ici alors j’ai dû faire d’autres formations comme la psychiatrie entre autre, afin de pouvoir m’introduire dans le système et delà, j’ai reçu le droit et l’autorisation de pratiquer en tant qu’indépendant. Ce n’est pas facile mais il ne faut jamais baisser les bras.
Un itinéraire parsemé sans doute de désappointement, mais aujourd’hui le ciel semble être de votre côté puisque vous exercez librement comme indépendant et vous intervenez également dans des cliniques privés en tant que chirurgien.
Se faire accepter déjà quand on est médecin noir, n’est pas une chose aisée dans ce monde un peu trop idéalisé. C’est déjà aussi com- pliqué de me faire accepter par mes collègues, des gens qui me voient toujours différemment. Mais je crois que lorsqu’on a fait de bonnes études avec des compétences requises, on est différent. Il faut du temps, patien- ter et gentiment les gens commencent à me découvrir. Les compétences sont indiscutables et vous savez qu’ici, pour avoir un diplôme et surtout dans mon domaine il faut avoir réussi aux examens. Déjà il y a des collègues qui ont de la peine à m’accepter, alors imaginez les patients. Fort heu- reusement que ça se passe bien avec les patients. C’est une question de confiance.
Pourquoi avoir choisi d’installer votre cabinet à Bex et y habiter. Parviendriez-vous à vous donner une visibilité ?
Lorsqu’en 2010 je suis arrivé en Suisse, Bex était mon premier lieu de vie où j’ai fait ma formation en psy- chiatrie dans un premier temps, en travaillant au centre de dépendance qui s’appelait Azimut. J’étais l’un des premiers médecins assistants. Par la suite, je suis allé vivre à Montreux et après quelques années d’errance, j’ai regagné ma petite ville de Bex que j’aime avec passion. Ici il n’existe pas de chirurgien plasticien et personne ne pratique la chirurgie dermatologique.
Dr. Esselem, quels sont vos rapports avec vos pairs généralistes établis à Bex, bien entendu que vous n’exercez pas dans les mêmes domaines de compétence.
Très compliqués et difficiles. Nous devrions collaborer ensemble et se soutenir. À maintes reprises je les ai contactés mais sans réponses. Ils devraient pouvoir m’adresser des patients dont la prise en charge en termes de soin ne relève pas de leur compétence, mais ils préfèrent les orienter sur Lausanne avec une liste d’attente importante. La chirurgie plastique appelée reconstructive est prise en charge par l’assurance LA- Mal (Loi sur l ́Assurance Maladie, ndlr). Il s’agit des plaies importantes (tout ce qui est cutané, des tumeurs
de la peau qu’on opère en ambulatoire). C’est ce que je pratique dans mon cabinet, au centre médical à Lausanne et dans certaines cliniques privées. Mais les gens commencent à venir gentiment et manifestent leur satisfaction. Je reçois aussi des patients qui viennent pour la consultation médicale car il est important de rappeler qu’avant d’être chirurgien, je suis d’abord avant tout médecin; j’exerce aussi la fonction de médecin de garde comme les autres médecins généralistes. Une collaboration entre médecins établis ici serait bénéfique pour les patients présentant les pathologies énumérées plus haut car ils se feraient traiter à Bex au lieu de se faire envoyer loin. Mais comme l’on dit, la patience est un chemin d’or, la communication traditionnelle c’est-à-dire du bouche-à-oreille fonctionne bien aussi. J’ai une infirmière de haut niveau avec une expertise avérée. Elle est à disposition et m’accompagne dans mon travail.
Dr. Esselem, parlez-nous de vos passions, de votre famille et d’autres choses que vous faites à part la médecine.
J’adore pratiquer les activités sportives comme courir, la boxe pour maintenir la forme, faire le jardin etc…
J’ai une vie de famille épanouie. Si je me suis installé en mon compte, c’est justement pour consacrer du temps à mes enfants, leur éducation et leur offrir un bon encadrement. Comme tout bon Africain, j’aime bien faire la cuisine et de petites choses pour rendre le quotidien le mieux possible; ce qui n’est pas toujours évident mais il faut y croire.
Dr. Esselem, nous sommes arrivés à la fin de cet entretien, quel message souhaitez-vous adresser à l’endroit des jeunes Africains d’ici ?
La Suisse en soi s’est construite sur la résistance, le travail, la persévérance et la patience. Les Africains d’une manière générale et les jeunes en particulier doivent avoir confiance en eux. Croire en leur potentiel, s’adonner à leur étude ou apprentissage avec abnégation et courage. Elaborer de bons projets, certes il y aura des difficultés mais sans difficultés, l’on n’atteint pas ses objectifs. À titre personnel, je ne dirais pas avoir atteint mon objectif dans le sens absolu mais il y a la satisfaction. Comme quoi la persévérance est un talisman pour la vie.
Dr. Esselem, ainsi s’achève notre interview. Merci de nous avoir accordé votre disponibilité et à très bientôt dans Afrique opinion.
Je vous remercie et souhaite plein succès à Afrique opinion.
Propos recueillis par Sourou Adada Hazoume